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« We are » : le club qui veut promouvoir les industries culturelles françaises

24 Juin 2022
« We are » : le club qui veut promouvoir les industries culturelles françaises

« We are » : le club qui veut promouvoir les industries culturelles françaises

ENTRETIEN. Éric Newton développe à Paris un cercle qui fédère institutions muséales, acteurs du monde de la musique, du cinéma, de la mode et de la tech…

Chaque semaine, le club propose une série d'événements à destination de ses membres. Parmi lesquels des concerts privés d'artistes émergents.
Chaque semaine, le club propose une série d’événements à destination de ses membres. Parmi lesquels des concerts privés d’artistes émergents. © DR

Hier publicitaire et producteur de programmes de divertissement, Éric Newton, 55 ans, a créé en 2019 le club We are. C’est un lieu hybride qui rassemble divers acteurs du monde culturel afin de promouvoir les industries créatives et digitales hexagonales. Notamment à l’international. Installé dans un hôtel particulier du 8e arrondissement de Paris, ce cercle fédère aujourd’hui près de 850 personnes. Comment fonctionne cette association d’un nouveau genre ? Quelles sont ses actions ? Pour Le Point, Éric Newton revient sur cette initiative.


Le Point : Comment est née l’idée de votre club et pourquoi l’avoir consacré au secteur culturel ?


Éric Newton : Les industries culturelles et créatives (ICC) pèsent lourd dans l’économie de la France. On estime qu’elles contribuent pour 110 milliards d’euros au produit intérieur brut de notre pays. Leur poids ne cesse de grandir et sur le plan de l’emploi, les entreprises qui participent à ces activités offrent de nombreux débouchés aux jeunes diplômés. Pour autant, les acteurs de cet univers n’avaient jusque-là aucun lieu pour se rencontrer. Notre idée a été de créer un endroit où ils pourraient se croiser, échanger sur leurs expériences, mais aussi, pourquoi pas, nouer des partenariats pour se développer.


Quand on arrive chez vous et qu’on découvre ce bel hôtel particulier et son jardin, où travaillent des trentenaires en jean et baskets, on a un peu l’impression de se retrouver dans une sorte de cercle Interallié du XXIe siècle. C’était ça le projet : un club pour les milléniaux ?

Pas vraiment un « club » au sens strict du terme, car nous nous voulons ouverts sur le monde et tout un chacun peut venir chez nous, invité par un membre, ou organiser une conférence, un événement sans forcément l’être. Si je devais évoquer un modèle, il serait plutôt anglo-saxon. J’avais envie de quelque chose qui ressemble au Hospital Club, fondé à Londres en 2004 par Paul Allen et Dave Stewart (respectivement cocréateur de Microsoft et ex-musicien du groupe Eurythmics, NDLR). Je rêvais d’un lieu qui ait aussi à voir avec le club de San Francisco The Battery qui fédère des centaines de dirigeants de start-up de la Silicon Valley autour des enjeux climatiques et de responsabilité sociale des entreprises.

Le club occupe l'ancien siège du groupe de haute-couture Christian Lacroix, au 73, rue du Faubourg-Saint-Honoré. 
 ©  DR

Le club occupe l’ancien siège du groupe de haute-couture Christian Lacroix, au 73, rue du Faubourg-Saint-Honoré. © DR


Finalement, votre projet ressemble assez à celui porté par Le Silencio, le club ouvert par David Lynch, rue Montmartre, il y a dix ans, et depuis peu à Saint-Germain-des-Prés ?


Nous sommes, je le crois, très différents. Notre lieu est très business et surtout ouvert le jour…


Qui vient chez vous ?


Notre public est assez diversifié. Nos membres travaillent pour des labels de musique, des chaînes de télévision, des studios de cinéma. Ils sont dans la communication, l’audiovisuel ou dans la mode et plus largement des décisionnaires passionnés de création. Ce sont des gens qui ne se croiseraient pas ailleurs et qui, grâce au brassage qui s’opère chez nous, peuvent envisager des partenariats étonnants.

Un exemple ?


Une société de production de jeux vidéo qui rencontre, par notre entremise, la direction d’un grand musée parisien. On m’a dit qu’ils travaillent aujourd’hui à un projet très prometteur…


Finalement, vous êtes un entremetteur, votre job est le même que celui des marieuses d’antan ?


Oui, nous créons des circuits courts entre les décisionnaires et les talents. We are permet à l’ensemble des acteurs culturels de notre pays de se rencontrer et de se parler. Le sens même de notre projet est de casser les silos, de dynamiter les verticales et de permettre de booster la créativité. En France, notre société est trop cloisonnée. Les talents qui nous rejoignent ont beaucoup à partager. Leurs compétences peuvent s’exprimer de manière transversale dans de nombreux secteurs.


Quel est le modèle économique de votre petite entreprise ?


Il est assez classique. Comme tout club, chaque membre doit s’acquitter d’une cotisation annuelle (de l’ordre 1 500 euros, NDLR). 40 % de notre chiffre d’affaires sont générés par les événements que nous organisons et par la location des espaces. 20 % proviennent de notre activité d’hospitality : notre restaurant, notre bar et nos traiteurs. Le reste est généré par notre activité de production d’émissions de télé, pour le groupe M6, notamment mais aussi de musique.


Créer un lieu de rencontre à l’ancienne à l’heure du métavers, n’est-ce pas contre-intuitif ?


L’expérience du confinement que nous avons vécue nous a montré que le tout numérique n’est pas la panacée. Le monde virtuel comme les réseaux sociaux nient l’humanité. Un humain a besoin de voir, de toucher, de regarder, de sentir… Une vraie rencontre doit forcément être physique – c’est valable dans tous les types de relation : amoureuse, amicale ou professionnelle.


Quels secteurs sont le plus représentés chez vous ? Et inversement, quels secteurs culturels ne vous ont pas encore rejoints ?


Les professionnels de l’audiovisuel traditionnel et des médias ont très tôt compris l’utilité de notre club. Le monde du conseil et de la communication y est très bien représenté. Nous comptons de nombreux représentants de l’univers de la tech et du digital, de la mode et du luxe. Nous avons beaucoup d’acteurs technologiques de premier plan du fait de notre actionnariat (le tour de table compte plusieurs business angels très présents dans la Net-économie, NDLR) et de partenariats avec VivaTech par exemple. Reste à séduire le secteur de l’édition. Je suis convaincu que les professionnels du livre auraient beaucoup à tirer des échanges qu’ils pourraient nouer chez nous.


À lire aussi VivaTech : le « Girl Power » s’empare du salonComment se passent concrètement ces rencontres ?


Nous avons une programmation riche. Le lundi soir, nous organisons des « talks » avec des personnalités. Les mardis, ce sont des rencontres cinéma. Le mercredi, nous alternons piano-bar et comedy-club. Le jeudi, des labels organisent des showcases. En fin de semaine, c’est plus calme. Nous cherchons à mettre en avant, chaque jour, de jeunes talents. C’est tout l’objet de l’un de nos programmes qui s’intitule « We are young leaders » et qui permet à des jeunes ou moins jeunes de pitcher leur projet devant des investisseurs. Nous avons à cœur de présenter à nos partenaires des personnalités qui créeront les licornes de demain. Je me dis que si We are avait existé plus tôt, Netflix serait peut-être français ! J’ajouterais que nous mettons un accent particulier sur le soutien aux femmes qui portent un projet d’entreprise, notamment avec la création de formats de rencontres spécifiques comme « Bright & Bold » avec Laura Lesueur et Fatou Ndiaye. Nous avons reçu, il y a 15 jours, trois femmes aux parcours exceptionnels, Kat Borlongan, Maud Bailly et Marina Chiche.


À ce sujet, la parité est-elle respectée chez vous ?


Nous en sommes proches. Nos membres sont encore majoritairement masculins. Mais le ratio hommes/femmes est de 60/40, ce qui est beaucoup mieux que dans de nombreux autres cercles.


Vous parliez d’aider à l’émergence de start-up. Comment y contribuez-vous ?


Nous organisons deux types d’événements qui sont dédiés à cette mission. Le premier s’intitule « We are challenges » dans le cadre de VivaTech. Il vise à dénicher et à récompenser des entrepreneurs de talent. Il y a dix jours, nous avons récompensé trois start-up, sélectionnées parmi 165 dossiers reçus qui vont devenir membre de We are et bénéficier, avec l’aide de Bpifrance, d’un accompagnement structurel d’aide à leur développement. Le second est baptisé « We are French Touch » et, comme son nom l’indique, il est entièrement dédié à réfléchir ensemble à l’impact des nouvelles technologies hexagonales : c’est le premier événement totalement transversal qui met à l’honneur tout cet écosystème ! Créé avec le mouvement « French Touch », il aura lieu le 23 novembre prochain dans divers lieux, à Paris et en Province.


À vous entendre parler, on jurerait que votre mission est d’aider à l’accouchement de la « start-up nation » décrite par l’Élysée ! Êtes-vous soutenu par la puissance publique ?


Nous n’avons aucun lien avec l’État même si nous travaillons étroitement ensemble. Nous sommes un projet strictement privé et si nous nous sommes installés dans le 8e arrondissement de la capitale, ce n’est pas pour être proche de la présidence de la République, mais plus simplement pour être à côté des décisionnaires de nos industries. Nous misons beaucoup sur l’idée d’une générosité réciproque entre nos membres. Nos adhérents ont des choses à partager : ce peut être une expérience, une expertise, un savoir-faire. Le but que nous poursuivons en accueillant tous ces talents, c’est de leur permettre de s’enrichir mutuellement et de valoriser notre génie français. Et tant mieux si cela profite au pays.

Un article de Baudoin Eschapasse, publié le 24/06/2022

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