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La curiosité, moteur vital de la création dans la mode

09 Déc 2025
La curiosité, moteur vital de la création dans la mode

Lors de we are DTR, le 3 octobre 2025, la créatrice Sakina M’Sa et Clarisse Reille, Directrice Générale de DEFI la Mode de France, ont livré un talk inspirant sur l’importance de la curiosité dans le processus créatif. Racines culturelles, mode durable, rôle de l’industrie : retour sur une conversation qui remet l’intelligence sensible au cœur du vêtement.

« On ne crée pas à partir de rien. »

D’emblée, Clarisse Reille plante le décor : la curiosité n’est pas un luxe ou un supplément d’âme, mais le socle même de toute démarche créative. À l’image des arbres aux racines profondes et variées, la culture est cette terre nourricière, invisible mais indispensable, où s’ancrent les intuitions les plus fécondes. Un message d’autant plus fort qu’il résonne dans un univers comme celui de la mode, souvent jugé superficiel, mais qui capte les mutations de société avec une acuité rare.

Face à elle, Sakina M’Sa incarne cette curiosité comme une trajectoire de vie. Venue des Comores, élevée dans les quartiers populaires, elle raconte ses débuts sans livres à la maison. La découverte de la lecture se fait sur les étals du marché, où elle attrape au vol des ouvrages de Boris Vian, Barthes, Lautréamont. « Je mettais les lettres ensemble comme un puzzle », confie-t-elle. Cette autodidacte revendiquée tisse un lien direct entre son parcours et ses créations. À l’image d’une collection née d’une visite à l’exposition Pierre Soulages, où l’usage du noir devient révélateur de lumière, ou d’une robe inspirée de Mondrian et Saint Laurent, revisités à travers le prisme de l’upcycling et des codes de la couture contemporaine. Pour Sakina, la culture n’est pas une référence figée, mais un matériau vivant, qu’elle incorpore, détourne, sublime : « Être créateur, c’est dessiner le futur. »

Clarisse Reille le rappelle : cette curiosité est aussi ce qui permet à la mode française de rester à l’avant-garde. Au-delà des grandes maisons, souvent perçues comme inaccessibles, elle salue une filière qui bouge, qui se transforme, qui soutient ses jeunes talents. À travers le DEFI, des dispositifs de coaching, des résidences comme celle à la Villa Médicis, ou encore des petits-déjeuners transversaux en préparation avec la Fédération de la Haute Couture, l’écosystème cherche à ouvrir les horizons.

Mais la curiosité ne s’arrête pas à l’art ou aux livres. Elle peut aussi être sociale, politique, tournée vers les réalités du monde. L’histoire du « baggy » racontée par Sakina, pantalon aux hanches tombantes né dans les prisons américaines où l’on retire les ceintures, devient un exemple de mode comme récit d’identité. Comprendre les origines d’un style, c’est refuser d’être suiveur et choisir de créer avec conscience.

Pionnière de la mode durable, Sakina insiste aussi sur l’enjeu industriel : comment rendre l’upcycling désirable, scalable, viable économiquement ? Elle raconte les années d’expérimentation, de test, les résidences dans les quartiers, les ateliers d’insertion. Et les rencontres décisives, comme celle avec Didier Grumbach, qui fut l’un des premiers à croire en elle. Une mode engagée, certes, mais aussi belle, joyeuse, colorée, puisant dans l’élégance des cultures africaines comme dans les formes du surréalisme.

Le témoignage de Sakina prend une résonance particulière lorsqu’elle évoque son voyage au Bangladesh, juste après l’effondrement du Rana Plaza. Là-bas, elle anime des workshops, rencontre les ouvrières du textile, comprend que la solution n’est pas dans le rejet, mais dans la coopération. « Il faut arrêter de stigmatiser. Il y a des usines très respectueuses, il faut les soutenir », plaide-t-elle, appelant à une vision nuancée et exigeante du développement durable.

En clôture, Clarisse Reille rappelle que la mode incarne, dans chaque vêtement, les rêves, les peurs et les attentes de notre époque. Ni simple produit ni pur art, elle est à la fois culture et industrie, low-tech et high-tech, artisanat et innovation. Et pour cela, elle a besoin de passeurs, de curieux, de visionnaires.

Chez Sakina comme chez Clarisse, une même conviction : la curiosité est un outil d’émancipation.
Elle ouvre les possibles, fait tomber les barrières sociales, culturelles, géographiques. Et elle permet, peut-être, de bâtir une mode à la fois plus juste, plus belle, et profondément humaine.

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