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IA et compétences humaines : vers un avenir du travail réinventé

10 Juin 2025
IA et compétences humaines : vers un avenir du travail réinventé

Le 12 juin 2025, we are_ a inauguré sa communauté RH avec une table ronde consacrée à l’impact de l’intelligence artificielle sur nos métiers, nos compétences et notre humanité. Une discussion riche menée par Tiphaine Galliez (Great Place to Work), Eric Salobir (Human Technology Foundation), Hélène Marlaud (Google France) et John Hazan (Bain). Ensemble, ils ont exploré les transformations induites par l’intelligence artificielle sur les compétences, les métiers, la formation, le rôle des managers et l’éducation.

2040, l’ère des compétences augmentées : utopie ou réalité ?


L’événement a débuté par un scénario généré par IA décrivant un monde du travail en 2040 : tâches automatisées, parcours individualisés, passeports de compétences, managers devenus « architectes de parcours ».


« Ça ressemble à Barbie : séduisant, mais comment financer une telle utopie à grande échelle pour que Barbie passe ses journées à la plage ?« , s’est interrogée Eric Salobir. Il met en garde contre une responsabilisation trop forte des individus, potentiellement violente pour les profils moins autonomes et qui pourrait masquer des réalités organisationnelles complexes, notamment dans ces grandes entreprises.

Pour Hélène Marlaud, « Le scénario est crédible, mais dépend d’une condition essentielle : la transition » Elle cite l’exemple d’AlphaFold, utilisé à l’Institut Pasteur, comme preuve de l’accélération que peut permettre l’IA. Il permet de prédire la structure des protéines en quelques secondes, là où les chercheurs mettaient auparavant des années. Cet exemple illustre la capacité de l’IA à transformer même les domaines les plus pointus, comme la recherche biomédicale. Mais elle rappelle que ces promesses ne se concrétiseront que si
l’on parvient à diffuser les outils et à former massivement.

John Hazan alerte sur les risques pour les cols bleus et les cols blancs peu qualifiés, qui aspirent davantage à la stabilité qu’à l’apprentissage permanent. Il évoque aussi l’arrivée des robots humanoïdes, dont certains modèles coûtent déjà moins de 15 000 dollars, et qui pourraient bouleverser l’emploi dans les secteurs industriels. Il interroge aussi la nécessité d’une gouvernance mondiale de l’IA, à l’image de l’OMS pour la santé.

Compétences techniques : mutation, pas disparition

Le débat s’est ensuite orienté vers l’avenir des compétences techniques face à l’IA générative. Pour Eric Salobir, les compétences métiers ne disparaissent pas, mais elles devront être mises au service de
l’expertise métier. Éric exprime également une inquiétude plus structurelle : ces technologies, aussi puissantes soient-elles, risquent de bénéficier d’abord aux plus agiles, aux plus formés, aux plus autonomes. Autrement dit, aux « meilleurs ». Et si l’on n’y prend pas garde, elles pourraient creuser davantage les écarts
entre ceux qui savent s’en emparer et ceux qui restent à l’écart. Mais, rappelle-t-il, tout le monde n’aspire pas à se libérer de ces tâches. Certaines personnes trouvent du sens, de la stabilité, voire du réconfort dans des activités routinières, non intellectuelles. Les supprimer au nom de l’efficacité pourrait priver une partie des salariés de leur équilibre professionnel.

Hélène Marlaud s’attache à nuancer les discours alarmistes autour des fractures sociales que l’IA pourrait aggraver. Elle reconnaît les écarts d’accès et d’aspiration face aux technologies, mais souligne aussi leur potentiel transformateur, notamment pour les profils dits « low skills ». Elle s’appuie sur les témoignages recueillis dans le cadre des Ateliers Numériques de Google, où des collaborateurs peu qualifiés ont vu leur quotidien enrichi par l’IA, en intégrant de nouvelles compétences numériques à leurs missions.

L’IA, explique-t-elle, peut faire tomber certaines barrières traditionnelles à l’entrée sur le marché de l’emploi (niveau d’étude, maîtrise technique), et permettre une montée en compétence progressive et valorisante. Elle évoque même une perspective géopolitique : pour certains pays du Sud, l’IA pourrait représenter une voie de rattrapage accéléré, en réduisant les coûts d’accès à la connaissance et en bousculant les « rentes éducatives » qui freinent l’émancipation économique.

John Hazan évoque l’importance d’apprendre à poser les bonnes questions dans un monde où l’IA propose déjà des pré-réponses. Il identifie trois grandes familles de compétences qui resteront essentielles : la qualité des relations interpersonnelles, la créativité (surtout disruptive) et la résolution de problèmes complexes. Loin de remplacer les compétences humaines, l’IA permettrait de les développer via un tutorat personnalisé à grande échelle.

Cette table ronde rappelle que l’IA n’élimine pas les enjeux humains, elle les exacerbe. Pour Tiphaine Galliez, il faut repenser le rôle du manager : « Trop souvent, on oublie que l’humain fonctionne avec des raccourcis cognitifs, des besoins affectifs, des désirs de reconnaissance. Ce n’est pas un collaborateur rationnel. » Elle plaide pour un management fondé sur la connaissance fine des individus, en évoquant l’écart entre travail prescrit et travail réel et la nécessité de reconnaître ce qui compte vraiment pour les collaborateurs.

« L’IA peut tout accélérer, sauf notre capacité à donner du sens« , conclut-elle. Et c’est peut-être là que réside encore l’essentiel de notre avenir professionnel.

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