Médias et sport, la nécessité des récits collectifs

Dans le cadre de sa programmation, we are_ a reçu Thibault Le Rol, journaliste et présentateur pour Prime Video, et Édouard Boccon-Gibod, cofondateur du média « sans doute » pour un talk autour des mutations contemporaines du sport et de sa médiatisation.
Comment les médias transforment notre expérience du sport ? Comment les logiques économiques redéfinissent les règles du jeu ? Qu’est-ce que cela dit de notre rapport collectif à l’émotion, à la compétition et à la culture populaire ?
Expérience de terrain : Roland-Garros et Ligue 1 vus de l’intérieur
Thibault Le Rol a commencé la discussion en nous parlant de son expérience. En tant que présentateur des match du soir de Roland-Garros sur Prime Video, il a contribué à faire évoluer la manière de raconter le tennis à la télévision. Il insiste sur la nécessité d’humaniser le discours, de mettre en valeur les émotions et les instants suspendus : « Il faut rendre le sport plus incarné, plus accessible sans l’appauvrir ».
Même analyse pour la Ligue 1, qu’il a couverte au plus près. Il pointe l’échec de certains diffuseurs à proposer une véritable expérience éditoriale : « Si c’est 40 euros par mois pour un produit pauvre, sans avant-match, sans analyse, sans récit… alors c’est un refus collectif légitime ». À l’inverse, il défend une vision du journalisme sportif comme artisanat du récit, nourri de proximité, de terrain et de sincérité.
Tennis et football : deux modèles économiques en mutation
Le football concentre toutes les tensions de l’économie sportive contemporaine. Pour Thibault Le Rol, la victoire récente du PSG en Ligue des champions est d’abord celle du Qatar, qui a injecté plus d’un milliard d’euros en quinze ans. Cette réussite incarne le soft power en action, mais aussi un modèle à bout de souffle : multiplication des matchs, explosion des droits télévisés, et tentation d’une ligue fermée. « Certains joueurs atteignent 80 matchs par saison. C’est délirant », alerte-t-il.
Le tennis, lui, vit une transition générationnelle marquante. L’hommage à Nadal et la finale Alcaraz-Sinner à Roland-Garros 2025 ont symbolisé la fin d’une ère et l’entrée dans une nouvelle. « On est déjà au cœur de la nouvelle époque », observe Thibault. Mais en coulisse, les meilleurs joueurs contestent la répartition des revenus et envisagent, à mots couverts, une grève des Grands Chelems. Entre exigence de spectacle et revendication d’équité, le tennis cherche son équilibre.
Multiplication des formats spotifs, dilution de l’attention
Les dernières décennies ont vu exploser le nombre de diffuseurs, de formats et de compétitions sportives. « On est passés de trois chaînes à une fragmentation extrême, avec des plateformes, des opérateurs, des réseaux sociaux, des applications », constate Thibault Le Rol. Le sport se consomme en direct, en replay, par extraits, en mode « picorage ». Une grande flexibilité qui bouleverse les usages : « On vient chercher l’émotion, mais en différé, elle s’estompe ».
Ce changement d’échelle influe aussi sur la rareté des événements. « Trop de matchs, trop de compétitions, trop d’offres tuent l’attention », analyse-t-il. La logique économique domine, dictée par les droits, la publicité et les enjeux de visibilité. Mais elle génère aussi une forme de fatigue : même les grandes finales voient leur audience fléchir, au profit de formats narratifs plus incarnés.
Storytelling, plateformes et réinvention de l’expérience sportive
Dans cet univers ultra saturé, le sport doit se raconter autrement. L’exemple de la Formule 1, relancée par la série Netflix « Drive to Survive », en est devenu un modèle. « Ce n’est pas que de la starification, c’est de l’humanisation », affirme Thibault. Montrer les tensions, les coulisses, les héros ordinaires : autant de leviers pour reconnecter un public jeune et fragmenté à un univers parfois trop technique ou institutionnel.
Mais la transposition n’est pas toujours simple. « Le tennis ou le rugby, par exemple, n’ont pas encore trouvé la bonne formule ». La clé ? « Que tout le monde s’y mette : les joueurs, les instances, les diffuseurs ». Et réinvestir l’éditorial, sans céder à la seule logique du divertissement. « Il faut qu’on nous raconte des histoires», répète Thibault, convaincu qu’un sport sans narration s’expose à une perte de sens.
Ce talk aura dessiné les contours d’un sport mondialisé, soumis aux logiques marchandes mais encore porteur d’une charge symbolique forte. Or, si l’offre explose, l’attention se fragmente, et le défi devient de maintenir un récit collectif. Le sport doit rester un lieu de fédération, à condition qu’on sache le raconter, le partager, mais surtout l’incarner.